Ecrits du coeur

Ecrits du coeur

Liban, je t'aime, moi non plus

Liban,  cet ami fatidique.

 

 

J'ai envie de vous parler de lui, qui m'a accompagné près de trois ans.

Suite à une émission de télé, dont seules les nuits savent nous faire cadeau, j'y ai retrouvé de nombreuses impressions de ce pays avec lequel j'entretiens un curieux rapport.

 

Quel est il, ce rapport ? C'est assez proche de « je t'aime, moi non plus ». Je suis allée dans ce pays à reculons, mais il m'a marqué à jamais. Syndrome de Stockholm ?  Sans doute ; Reste, que depuis que je suis rentrée en France, ce dont longtemps j'ai espéré ce moment, mes pensées vont encore et toujours vers ce pays, où, finalement, j'ai peu vécu dans le temps, mais rien ne peut m'en laisser indifférente. Je crois que c'est le lot commun des gens qui ont vécu là bas, et des gens qui en général, ont vécu une expérience forte. Beyrouth vous marque aux tripes. Vous ne pourrez jamais oublier Byblos (ou Jbeil dans la langue parlée), et ses ruines, le berceau de l'alphabet avec lequel nous formons maintenant nos mots, chacun dans notre langue. Le mot bibliothèque vient de là bas. Byblos est une oasis de paix (oui, je sais, le mot paix au Liban est anachronique), où tout le monde s'entend pour garder une sorte de « tête froide », loin de la grande sœur Beyrouthine où les confessions se déchirent mutuellement, en ayant oublié même les raisons de ce pourquoi elles le font.

 

À Byblos, j'ai goûté, à la terrasse d'un restaurant, avec vue sur le port, des poissons grillés à la saveur inimitable, dans une ambiance hétéroclite, une sorte de paix que je n'ai trouvée nulle part ailleurs dans ce pays ravagé par 15 ans de guerre fratricide, j'y ai retrouvé les paysages méditerranéens  d'un sud de la France, ou de l'Italie, "on dirait le sud"...  sinon la langue, et encore !  ça parle beaucoup plus français à Byblos qu'arabe ou plus exactement libanais puisque c'est un dialecte!!!!

 

J'ai le souvenir que, lorsque je suis arrivée, bien perdue, au Liban, j'avais adhéré à une association de femmes françaises, histoire de se retrouver un peu entre nous, les " pauvres paumées" (c'est une image, les français qui sont là bas ne sont pas vraiment pauvres en général, la plupart sont sous contrat de l'état français ou de grandes entreprises qui facilitent grandement la vie des "expatriés" ! ), et la présidente de cette association m'avait mis dans les mains un gros roman dont je me disais que je n'en viendrais jamais à bout,  "le pavé", en somme !  qui s'appelait " la mémoire des cèdres" ;  elle m'avait dit : tu verras, quand tu auras passé la dixième page, tu pourras plus en décoller. Comme elle avait raison ! non seulement ce roman, relatant cette terrible guerre qui a hanté mon adolescence (j'avais 16 ans lorsqu'elle a été déclarée et, dans l'école où j'étais, on accueillait des réfugiés libanais) dont on parlait tous les jours à la radio et à la télé, ce roman a éclairé comme une lampe en plein milieu de la nuit, la jungle de ce pays où jamais je n'aurais imaginé atterrir un jour.

 

Il m'a permis de comprendre ce système confessionnel qui a donné naissance à la constitution du pays, lors du protectorat dont jouissait ce pays jusque dans les années 30, de prendre la mesure de ce qui les a amené à se trucider entre eux, êtres humains nés dans les mêmes villages ou villes, ayant usé leurs fonds de culottes sur les mêmes bancs d'école, ayant dragué les mêmes jolies filles, et ayant fait les mêmes 400 coups ensemble, lors de leurs adolescences. Et aussi à mettre un « visage » sur les massacres de Sabrah et Chatillah, ces horreurs commises par des gens qui se disent croyants... je sais, cette période noire du Liban, chacun d'entre eux cherche à l'oublier, mais il reste trop d'images, trop de souffrance(s), trop de rancune(s) pour que un jour ces atrocités fassent partie du passé.

 

 

Quoiqu'il en soit, les Libanais sont des grands enfants, qui font d'autres enfants, et qui ne vivent que pour leurs enfants. Ils sont à la fois parents et gamins. Ils ont cette énergie du désespoir qui leur dit que si eux n'ont pas réussi à garantir la paix, ce seront leurs enfants qui la feront. Ils vivent comme si ils devaient mourir demain. Les murs de Beyrouth sont encore marqué des tirs de mortier comme si ça avait été fait la veille. Les routes de ce pays sont encore marqués de trouées d'obus qui rappelleraient à nos vétérans de la première guerre mondiale les pires souvenirs...

 

Le Liban a vécu une bonne quinzaine de tremblements de terre depuis l'antiquité. C'est un pays fragile, et solide à la fois. Beaucoup de sites sont millénaires.

Je parlais de Byblos, au début de ce récit. il y a aussi Baalbek, et ses colonnes impressionnantes. Il y a aussi Anjaar, à l'est de ce pays, et sa nécropole, puis les trois villes les plus importantes : Saida ou Sidon, Tyr, au sud, et Tripoli, au nord. Puis au centre, dans la plaine de la Bekaa, Zarhlé, ville atypique, sans réelle beauté, mais avec des oasis de plantes dignes des 1001 nuits !  

 

Reste que je ne pouvais vous parler de ce pays sans y planter un décor. Certes, subjectif, mais il m'est difficile de me détacher de ce que j'y ai vécu !

 

À la fin de ce mois ci, cela fera trois ans que j'en suis revenue. J'avais dit en partant que je n'y remettrai jamais les pieds. Et comme il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis, et qu'à aucun prix je ne veux passer pour une imbécile, je suis en train de me dire que, vu sous un autre angle, le pays vaudrait  bien à être revu. Avec mes yeux de maintenant. J'y suis allée forcée, sans le vouloir, avec beaucoup d'appréhension, parce que je n'y partais pas « en vacances », puis maintenant, j'irais bien refaire un tour « du côté de Beyrouth », voir ce qui a changé, ce qui est resté, ce qui a évolué, et ce qui n'a pas évolué.

 

Revoir la corniche (un peu la même que le bord de mer à Nice, en plus coloré) revoir la Grotte aux Pigeons (un des lieux touristiques de cette même corniche), puis le port de Jbeil,  puis le palais de Bettedine, sur les hauteurs du pays,  cet endroit où est né Whalid Jumblatt, et qui y vit toujours, (enfin, à quelques encablures) revoir les endroits où Gibran Khalil Gibran, ce grand poète s'est inspiré de l'air ambiant pour écrire son œuvre, et revoir quelques endroits du cœur de Beyrouth, préservé mystérieusement des tirs d'obus, de mortiers, de grenades et de Kalachnikovs qui gardent ce charme de ce qu'on appelait jadis la « Suisse du Moyen-Orient ».

 

C'est ça aussi, le Liban ! un pays atypique, dans ce coin d'Orient où règnent les Mollahs et autres gourous de l'Islam radical, un pays où on peut aussi bien se balader en mini jupe, montrer son nombril sous un t-shirt court et la couleur de ses cheveux qu'en djellaba, voilée et ne montrer (et encore !) que la couleur de ses yeux.  Où les églises jouxtent presque les mosquées. Où on peut entendre les cloches maronites en même temps que l'appel du Muezzin dans le minaret ! Ce pays qui a réussi l'intégration de pas moins de 17 communautés différentes !

 

Qu'en dire de plus ! que l'actualité nous rappelle en ce moment que nous, français sommes très attachés à ce pays, et que eux, aussi, sont très attachés au nôtre.

Que nos politiques, qui ont « géré » ce pays pendant une bonne trentaine d'années ont la mémoire courte (je rappelle que la constitution de ce pays est l'oeuvre d'un français ) et qu'à l'heure où encore un ex premier ministre et un journaliste de renom viennent de se faire assassiner, je n'ai pas encore entendu le locataire du quai d'Orsay se manifester pour condamner ces  crimes abjects. Aucune vie ne mérite ce sort là, surtout pour avoir pensé que la liberté et la démocratie doivent être la base d'un rapport de confiance entre les dirigeants et leur peuple !

 



24/05/2014
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